اقتصاد ومؤسسات

« Les prix spot n’arrangeraient pas la commercialité de notre gaz »

Mohamed Said Beghoul, expert en Hydrocarbures

Mohamed Said Beghoul, expert en Hydrocarbures

« Les prix spot n’arrangeraient pas la commercialité de notre gaz »

Mohamed Saïd Beghoul est un ancien directeur de l’amont pétrolier au sein de Sonatrach- Exploration et ancien PDG d’une filiale mixte Sonatrach- Halliburton.  Présentement, il dirige un cabinet de consulting en Énergie. Dans cet entretien accordé à Tariq News, il soulève des estimations pour démontrer que l’exploitation de gaz de schiste ne peut être rentable dans le court et moyen terme

 

Par Mehdi Bsikri

 

Le ministre de l’Energie, Mustapha Guitouni, a évoqué samedi 4 novembre qu’une nouvelle révision de la loi sur les hydrocarbures aura lieu et qu’elle sera prête en juillet 2019. Selon-vous, quelles sont les raisons principales qui poussent les dirigeants algériens du secteur pétrolier à revoir cette loi

C’est très simple, la loi en vigueur (13-01) de 2013, qui se voulait attractive pour le partenariat étranger, n’a pas réussi à relancer le rush des investisseurs qu’a connu le domaine minier algérien sous les lois 86-14 et 05-07 et ce pour des raisons liées essentiellement à la fiscalité, jugée assez sévère par beaucoup de partenaires.  On dit que la révision en cours vise à alléger certaines taxes et du coup inciter les partenaires à investir non seulement dans le conventionnel mais aussi dans le non conventionnel du fait que le pays a décidé d’y aller suite aux résultats insuffisants en matière de découvertes conventionnelles qui n’arrivent toujours pas à compenser les quantités produites et commercialisées

Existe-t-il des exemples de pays qui ont recourus à l’allègement fiscal pour encourager l’investissement étranger dans le secteur des hydrocarbures 

Depuis le crash de juin 2014, il y a eu un désinvestissement généralisé en Exploration- Production (E&P) à travers le monde et particulièrement au niveau des majors qui ont réduit leurs budgets E&P de 20 à 40%  (soit environ 1000 milliards de dollars de non investis entre 2014 et 2017). Les prix du baril ne permettaient plus une rentabilité à tous les coups. Maintenant que les investissements ont repris un peu, les pays pétroliers producteurs, comme l’Algérie, n’ont pas d’autres alternatives que de jouer sur l’allègement des taxes pour attirer les investisseurs qui demeurent encore prudents.  L’allègement fiscal est donc une pratique qu’on voit un peu partout, notamment dans les pays rentiers de l’OPEP. On peut citer le Venezuela, l’Iran, la Libye, voire le Mexique,  l’Argentine, etc

Mais d’après vous, admettons que allègement fiscal il y aura, cette révision traduira-t-elle pour autant que l’exploitation de gaz de schiste soit rentable

Le gaz de schiste aux USA avait démarré en 2008 avec beaucoup de problèmes de rentabilité pour certaines régions. Plus d’une soixantaine de compagnies se sont endettées, pas moins d’une trentaine ont abandonné leurs projets, et depuis 2013, les budgets alloués aux schistes ont chuté de 50%. C’est une preuve que les schistes sont difficiles à rentabiliser même chez les pionniers de la technologie. Concernant notre pays, c’est encore un terrain vierge en matière de schiste et donc nous devons, nous aussi, passer par ce goulot d’étranglement qui pénalise la rentabilité d’autant plus que la technologie sera importée (partenariat), le style de management des projets reste rudimentaire avec la lenteur dans la prise de décision, la bureaucratie, la lourde logistique des schistes, etc., et tout ça a un coût aussi. En plus, avec l’arrivée à terme de certains de nos contrats gaziers avec l’Europe, dans une ou deux années, les prix spot qui vont gouverner les nouveaux contrat, nécessairement plus courts ( 6 à 10 ans), n’arrangeraient pas la commercialité de notre gaz de schiste avant au moins 15 à 20 ans. Le gaz est une industrie de longue haleine.  On ne connait pas encore en quoi va consister l’allègement fiscal de la nouvelle loi mais on ne va tout de même pas dérouler le tapis rouge à fiscalité nulle pour les éventuels investisseurs

D’après ces paramètres, l’exploitation de gaz de schiste ne peut être rentable ni à court ni à moyen terme.  Donc, pourquoi s’enliser dans ce genre de projets coûteux, sous prétexte d’augmentation de la consommation locale. N’existe-t-il pas d’autres alternatives au lieu d’investir dans des projets non rentables

C’est vrai que la consommation locale en gaz est croissante (6 à 7% par an) et c’est vrai aussi que nous risquons de ne plus pouvoir exporter du gaz vers 2030. Tout le monde est d’avis sur ça. Mais tout le monde n’a pas la même solution. La plus simple est d’aller chercher ces présumés 20 000 milliards de mètres cubes de gaz non conventionnel, “à même les pieds”, sans faire de l’exploration ni de puits secs, et on sera tranquille pendant 130 années.  Oui, cela parait simple mais à quel prix? C’est la question qui n’a jamais eu réponse quantifiée.  Tous les algériens, y compris le coiffeur du coin, maitrisent ces chiffres mais personne n’a jamais évoqué objectivement, du moins publiquement, le coût de production, et à destination, d’un million BTU de gaz de schiste chez nous. Je sais qu’il y a ceux qui l’ont estimé

Justement, pour mieux schématiser, quels sont les coûts propres à l’exploitation du gaz de schiste, à commencer par l’étude et l’exploration, puis l’infrastructure nécessaire, pour au final nous dire concrètement si cette exploitation de gaz de schiste est rentable ou pas, et de ce fait bénéfique pour l’économie nationale ou pas

Je rappelle qu’aux débuts du shale boom américain, le coût de production du gaz de schiste (environ 4-5 dollar le million de BTU), dépassait le prix de cession (3 -4 dollar le million de BTU). Ce gaz était presque subventionné par l’État. Il est connu qu’un puits de gaz de schiste ne peut produire qu’entre 60 et 100 millions de mètres cubes pendant toute sa durée de vie d’environ 3 ans. Si un puits produit une moyenne de 80 000 000 m3 de gaz (soit 2 850 000 Millions Btu), la valeur monétaire du gaz produit sera de 15 millions de dollars en tête de puits (à raison de 5 dollars/ Mbtu) alors que le puits coûtera 20 millions de dollars, sans compter les coûts de traitement, transport, etc…Ne pas oublier aussi que pour produire un TCF de gaz de schiste (28 milliards de mètres cubes), il faut forer 400 à 450 puits, soit une dépense d’environ 10 milliards de dollars, alors que la valeur commerciale du TCF produit n’est que de 5 milliards de dollars, soit 50% de l’investissement forage

D’après ces calculs, la perte est nettement prouvée. Mais pourquoi Sonatrach persiste, jusqu’à signer des contrats avec BP et Equinor (ex-Statoil). Même si les citoyens admettent la déplétion des puits conventionnels existants, n’est-il pas plus salvateur d’investir dans des projets productifs hors hydrocarbures pour justement créer de l’emploi et offrir de nouveaux horizons

L’EIA (Energy Information Administration) américaine estime que l’Algérie est le 3e pays au monde après la Chine et l’Argentine en matière de réserves de gaz de schiste (20 000 milliards m3 techniquement récupérables). Mais l’Algérie n’a pas la technologie ni l’expertise pour exploiter ce potentiel, encore non confirmé, d’où la nécessité d’un partenariat avec des firmes spécialisées. Quant à investir dans des énergies alternatives (hors HC), ce n’est pas les projets qui manquent mais ça n’avance pas

A votre avis, quel crédit peut-on donner aux estimations de l’EIA, qui classent l’Algérie comme détenteur de la 3ème réserve mondiale de gaz de schiste ? Ne serait-ce pas là une déclaration marketing 

Je sais qu’il y a assez de gaz de schiste en Algérie mais pour le volume réel en place et récupérable seul le chiffre de l’EIA (publié en 2013) est véhiculé par les responsables et experts algériens. Nous n’avons pas nos chiffres sur les réserves de gaz de schiste. En Pologne, pour ne citer que cet exemple, l’EIA avait annoncé un chiffre dépassant les 5300 milliards de m³ mais après réévaluation par les géologues polonais, il s’est avéré que les réserves ne sont que 400 à 700 milliards de m³ exploitables, soit près de 10 fois moins et le nombre de concessions intéressantes est passé alors de 60 à 30. D’ailleurs des majors, dont la française TOTAL, ont abandonné les travaux et quitté le pays. Il n’est pas dit que ce scénario va se reproduire en Algérie (domaine de schiste plus vaste et géologiquement plus potentiel) mais il y a des pays où il y a eu beaucoup de vent et peu de gaz.

Peut-on soupçonner que la finalité des multinationales ne se traduit que par la volonté de vendre le matériel de forage, que elles seules maitrisent et possèdent 

Avant l’avènement des schistes, les multinationales de l’OCDE et US en particulier, cherchaient effectivement à alimenter leurs réserves de pétrole et gaz à travers le monde et surtout à partir des pays producteurs où elles signent des contrats de partage de production (PSC). Elles y investissent. Aujourd’hui, avec le non conventionnel, ces multinationales ont réussi à assurer l’indépendance énergétique de leurs pays qui passent d’importateurs potentiels à exportateurs (cas des USA). Je ne pense pas que ces multinationales vont aujourd’hui dans d’autres pays pour uniquement partager la production. Leur objectif primaire c’est en effet d’exporter leur technologie et leur savoir-faire. C’est moins risqué que d’investir dans l’incertain et c’est légitime en business

  1. B.M

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